vendredi 1 août 2014

Adol-essence

Les costumes mal repassés dans le coffre à déguisement, le rouge à lèvres emprunté à maman le jour du spectacle, les chuchotements dans les coulisses, les répétitions de dernière minute, les massages "anti-stress" avant la représentation...

J'ai découvert le théâtre au collège, dans un atelier-théâtre dynamique, "Les Bidochons" duquel j'ai fait partie pendant trois ans... Et quelle découverte! Une heure par semaine, le mardi midi, on pouvait prendre une pause dans notre quotidien collégien, incarner un personnage (du détective à la joueuse de tennis alcoolique en passant par la femme bourgeoise dans un vaudeville) et donner la réplique à nos copains. Mais surtout, se dépasser, oser se lâcher, à un âge où l'apparence compte beaucoup et la confiance en soi est en construction. Et quelle satisfaction, de travailler dur toute l'année pour que finalement, le projet aboutisse en un spectacle qui fait salle comble. Dans la période de l'adolescence, le théâtre a un rôle clef à jouer dans l'apprentissage de soi. Sans avoir la prétention de former de futurs comédiens, il offre une perspective nouvelle à ce qu'on est, ou ce qu'on peut être: qu'est ce que je reflète? Comment dépasser mes limites? Puis-je porter ma voix plus loin? Comment maîtriser mes émotions et en imprégner mon jeu? Suis-je en mesure de prendre part à un projet et de le porter jusqu'au bout?

Avec le versant de la chose : pourquoi n'ai-je jamais le premier rôle? Il/Elle joue mieux que moi. Pourquoi je n'arrive pas à parler plus fort? Le/la prof m'en demande trop, je n'ai pas envie de le faire. C'est la honte! Je m'en vais de ce truc, ça me met mal à l'aise.

Et effectivement. Le théâtre est une mise en danger, on sort de sa "zone confortable", avec et face à un groupe. Le professeur a donc un rôle clef à jouer, s'il veut amener à la fois chaque individu et le groupe entier à prendre confiance en soi et oser s'exprimer.

Lors de mon stage dans une compagnie de théâtre pour le développement (ATB) à Ouaga, au Burkina Faso, j'ai monté un atelier-théâtre dans un centre de formation en couture et en électricité. Cet atelier se déroulait deux fois par semaine, une heure le mardi après-midi et une heure le vendredi après-midi, et ce pendant quatre mois. L'objectif de cet atelier était lié à une constatation, qu'on peut sans doute universaliser : beaucoup de jeunes se dirigeant tôt dans le milieu professionnel ont des difficultés à s'exprimer en public, à formuler des idées fortes, à prendre part voire à s'intéresser à des débats de société, qui peuvent les concerner directement. Néanmoins, ces mêmes jeunes peuvent plus tard diriger leur propre entreprise, être connaisseurs et pointus du milieu dans lequel ils travaillent, et pour sûr avoir une place et un rôle à jouer dans leur communauté locale, étant amenés à se professionnaliser rapidement.
Après une présentation du programme, qui incluait travail sur la posture, apprendre à porter sa voix, exprimer une idée et la mettre en scène, etc. un groupe de huit jeunes s'est montré enthousiaste pour participer à l'atelier: sept filles et un garçon!

C'était un véritable défi pour moi, à de nombreux niveaux. D'abord, la distance entre mon lieu de stage et leur école : environ trente minutes à moto (méthode de déplacement la plus populaire à Ouaga. Les taxis fonctionnent également mais seulement sur certains trajets dont le mien ne faisait pas partie...) et nécessité de trouver quelqu'un pour m'y remorquer à chaque fois. Plusieurs cours que j'ai dû annuler au dernier moment à cause de ça. Ensuite, la période de temps impartie : quand l'atelier a été mis en place, il leur restait deux mois et demi de cours, ce qui n'était pas idéal pour monter quelque chose sur le long terme. Enfin, ma non expérience dans le domaine, je me jetais à l'eau sans forcément avoir les compétences nécessaires pour me lancer. Mais bon. C'est aussi comme ça qu'on les acquiert.

Deux mois et demi de travail, avec leurs hauts et leurs bas. J'ai découvert des jeunes incroyables, qui se cherchent et "en veulent". J'ai eu de grandes difficultés à les pousser, sans aucun doute par un manque de méthode, mais aussi d'emploi du temps. Deux heures par semaine (pas d'affilée) ne permettaient pas d'aller assez loin: au moment où le déclic commençait à se faire, l'heure touchait déjà à sa fin. Egalement, tous ne parlaient pas bien le français et mon mooré (langue principale à Ouaga) restait très basique: mes messages d'encouragement, mes discours sur le "pourquoi du comment" n'étaient pas forcément bien assimilés et augmentaient peut-être une timidité très présente à la base. Mais aussi de bonnes surprises, quand Bebisko et Géraldine ont mis en scène un entretien de travail, pour "apprendre à se présenter", il y avait de l'humour, une gêne qui est vite passée et une vraie volonté de s'améliorer. Quand Rasmata est la seule qui est venue pour l'atelier un vendredi après-midi et qu'on a travaillé sur son texte. En vingt minutes, elle qui était celle qui s'exprimait le moins fort a eu un déclic et a su porter son texte haut et fort. J'ai aussi découvert son côté "fofolle" jusque là non révélé.

Trois semaines avant la fin des cours, la programmation a été chamboulée : la fête de fin d'année arrivait à grand pas, le 31 Mai du mois et ils voulaient que je les aide à se préparer. Souhaitant à la base faire un ballet, un play-back, de la danse... Je me suis retrouvée décontenancée face à mon impossibilité de les aider à monter quelque chose de qualité (surtout en danse, à part faire le gorille, je reste très limitée). Ils ont donc monté leur danse seuls, tandis que je les ai aidés pour le défilé de mode (les filles faisaient école de couture quand même, il était important qu'elles montrent leur travail) et on a fini de monter notre spectacle de théâtre de dix minutes, avec des textes dont ils étaient à l'origine, autour du thème "Être un jeune, c'est quoi?"

Le jour du spectacle, 31 Mai, on se donne rendez-vous à huit heures le matin, la fête commençant à dix heures.
Premier drame: Bebisko (le seul garçon de notre groupe!) ne veut plus participer. Je savais qu'il n'était pas à l'aise à la base, ayant l'impression de faire un truc "pour les filles" mais que l'ambiance positive du groupe l'avait gagné. Sauf que, le jour du spectacle, il faut non plus le faire sur la petite terrasse qui nous servait d'espace de travail, mais bien devant toute l'école, les parents, les invités et les amis. Il m'a fallu environ trente minutes pour le convaincre d'aller jusqu'au bout du projet.
Second drame: il y a deux classes de couture dans l'école: classe de couture artisanale et classe de couture moderne. Mes filles étaient toutes dans la classe de couture moderne. Juste avant leur défilé, j'en retrouve trois en pleurs. La professeur de couture privilégiait apparemment le groupe de couture traditionnelle, avait pris énormément de temps pour les aider à se préparer et faire un beau défilé, et avait laissé les tenues de mes filles toutes froissées au fond d'un tiroir. Encore une fois, dix minutes de coaching pour les convaincre de le faire quand même, d'être fières de leur travail, même si les conditions n'étaient pas idéales. Dans leurs tenues froissées, avec des fermetures pas bien droites, elles sont sorties, une par une, et ont défilé. Leur tenue, fruit de leur création, les représentait dans leur personnalité. Elles étaient belles, et moi j'étais fière!
Le spectacle s'est très bien passé, il était simple, court, pas aussi poussé que ce que j'aurais souhaité, mais on est allé jusqu'au bout d'une aventure, une aventure simple, courte, pas aussi poussé que ce que j'aurais souhaité, mais qui a été source d'apprentissage et d'inspiration.

Les filles après le spectacle: préparation et dégustation de brochettes (31 Mai 2014)

Paroles des jeunes de l'atelier-théâtre :
"Être jeune, c'est souffrir dans la vie pour être quelqu'un de demain."
"Être jeune, c'est aider la société car les jeunes vont être les futurs responsables."
"Mon rêve est de bien connaître la couture, la broderie, faire des chemises."
"Mon rêve est d'avoir de quoi vivre et pouvoir aider ma famille."

J'ai encore tout à apprendre: dans mon organisation, mon autorité, pousser l'autre à se dépasser, me dépasser. Découvrir comment être pertinent, aller à l'essentiel et droit au but ; dans une idée et un projet qui, j'en suis convaincue, peuvent être un coup de pouce à la construction de soi pour se lancer dans la vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire